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Attentats, suicides, maladies : comment traiter du sensible ?

Publié par Ingrid Proust le 15/03/2019

Face à l’indicible, comment avoir la distance et la pudeur nécessaire pour informer sans voyeurisme ? Un défi à l’heure de la surenchère à l’émotion amplifiée par l’omniprésence des chaînes télé d’infos en continu. Eléments de réponse recueillis lors de la conférence "Attentats, suicides, maladies graves : traiter du sensible".

 « A la sortie du Bataclan, j’ai vu un mur de flashs photos et des journalistes qui m’alpaguaient moi et les autres victimes pour que l’on témoigne, à chaud. Une consoeur m’a harcelée pendant des jours en me criant ‘il faut que les gens sachent ce qui s’est passé’. On m’a demandé de raconter ce que j’avais vu, les morts, les blessés. Ils voulaient du gore, du sang ». Caroline Langlade est journaliste. Rescapée de l’attentat du Bataclan, elle a écrit un livre, « Sorties de secours », pour « faire le pont entre ceux qui avaient vécu l’attentat et ceux qui veulent savoir ». Elle a témoigné ce vendredi 15 mars aux Assises, lors de l’atelier « Attentats, suicides, maladies graves : traiter du sensible ».

Son histoire illustre les dérives de la course à l’info et au sensationnel face à la tragédie. « Un journaliste a déformé mes propos pour ‘déboiter’ un confrère. Il a raconté à tort que j’étais sous anti-dépresseurs et que je ne sortais plus de chez moi. J’ai co-fondé une association de victimes, Life for Paris, et des journalistes m’ont contacté pour avoir des noms de victimes pouvant témoigner. De préférence des victimes mutilées, amputées par exemple, pour que cela soit plus spectaculaire… ».

Dans la salle, une jeune journaliste pigiste a pris la parole. « Lors des attentats, mon rédac chef me criait d’aller voir ce qui se passait alors qu’on entendait des tirs. Au moment de l’attentat de Nice, un homme a été interviewé à côté du cadavre de sa femme et cela a été diffusé. Or ce n’était pas diffusable. Quel journalisme donne-t-on à voir ? »

« Montrer la souffrance, la violence, la mort a toujours été une composante de l’activité journalistique, notamment via le fait-divers, et ça fait vendre du papier, rappelle Marie-Christine Lipani-Vayssade, sociologue et universitaire. Les injonctions des directions de rédactions peuvent être difficilement applicables par le journaliste sur le terrain, qui voudrait faire preuve de pudeur et ne pas ramener des images à tout prix ».

Le risque de dérive existe aussi sur le « traitement » journalistique du suicide. « La façon de traiter de ce sujet peut avoir une influence négative, entraîner un effet de contagion », indique Nathalie Pauwels, chargée du déploiement du programme Papageno, qui vise à prévenir la contagion suicidaire. Un exemple : un article sur le suicide de deux octogénaires commençait ainsi : ‘ils voulaient mourir ensemble, organiser leur mort, partir à deux…’, avec de la romantisation. Un autre a traité le sujet de manière factuelle, avec les explications d’un expert sur la souffrance des personnes âgées isolées et d’un psychiatre sur la prévention du suicide. »

Les spécialistes impliqués dans le programme Papagano interviennent dans des écoles de journalisme, des rédactions, pour sensibiliser la profession. D’autres experts travaillent aussi sur le traitement des maladies psychiques au sein de l’association Ajirpsy, pour une « info responsable en psychiatrie ». « Les gens ne ressentent généralement pas d’empathie pour les malades psychiques », constate Anne-Pierre Noël, fondatrice de l’association. Des quotidiens régionaux ont mis en place des chartes sur le traitement des faits-divers, dont les suicides. « Si on a des difficultés sur un sujet sensible et sur ce que nous demande le rédac-chef, il faut en parler aux collègues », déclare une journaliste de La Nouvelle République. Un appel relayé par Caroline Langlade : « N’ayez pas peur de dire à vos rédactions ce que vous ne voulez plus faire ».

Ingrid Proust